Se détendre dans les postures

Détendu ou « ramollo », comment choisir ?
Souvent en yoga, on cherche à se détendre. Pensant alors bien faire, on relâche tous les muscles et on devient « ramollo » dans les postures… La gravité passe maître du jeu, on s’affaisse, éventuellement on se blesse, la respiration change, bref, la posture est subie plutôt que vécue. Pourtant, quand on prend le temps de regarder un peu l’anatomie, on voit que la tonicité musculaire n’est pas l’ennemie de la détente, au contraire ! Alors, détendu ou « mou », c’est pareil ? Comment trouver le juste milieu ?
« Tonicité vs détente »… C’était le thème de l’atelier anatomie et yoga de ce premier week-end de formation Yoga et Ayurveda. Se concentrer sur la détente lors d’une séance est une bonne chose. Souvent, sans que l’on s’en rende compte on contracte des muscles inutiles (on serre par exemple la mâchoire ou on contracte le dos en bombant le torse pour se redresser), on crée des tensions, on prend des compensations parce que l’on n’écoute pas les signaux du corps. On force en pensant bien faire ou on laisse la gravité faire fondre la posture ; mais ailleurs, pour se protéger, les muscles se contractent. Se concentrer alors sur le relâchement permet de prendre conscience de ces tensions et compensations, de corriger, de détendre les muscles et cela produit un incroyable effet de bien-être.

Mais si on souhaite profiter pleinement des bienfaits des postures et protéger son corps dans les asanas un peu plus exigeants, il est important de trouver un juste milieu entre l’effort musculaire et la détente. Même en Tadasana – posture de la montagne- la tonicité musculaire peut tout changer, redonner des courbes naturelles à votre colonne, soulager le bas de votre dos, protéger vos genoux… Quand Tadasana est pleinement est là, le corps est dans l’axe, il se porte tout seul, sans effort, sans lutter contre la gravité, la respiration est fluide, l’état de conscience change, le rapport au monde se transforme, le regard porte au loin, le sommet du crâne est dans les étoiles et les pieds sont ancrés.

Je sais que cela demande un effort au début, mais l’énergie qui ressort de la posture le compense largement. Je vois bien certains de mes élèves s’affaisser (oui ! Je vous vois ne pas tonifier vos cuisses ou écraser vos poignets au sol :-), se laisser prendre au piège de la gravité parce que l’on a la flemme ou que l’on est fatigué. Mais la posture ne devient alors que résistance au poids de son propre corps, elle ne tient pas, il est impossible d’y respirer convenablement et de la tenir sur le long terme (accessoirement, on s’y ennuie et on peut se blesser). La tonicité musculaire permet non seulement de construire la posture depuis l’intérieur, de faire en sorte que le corps « tienne tout seul », mais permet aussi d’en tirer tous les bénéfices tout en protégeant certaines parties qui peuvent se révéler sensibles. La tonicité permet aussi à quelque chose de plus subtil de circuler.
Détendu vs « ramollo »
Souvent on pense qu’être détendu c’est être complètement relâché, tout mou, alors que cela n’a absolument rien à voir ! On peut ainsi être tonique dans une posture, on peut même faire la planche (kumbhakasana) ou une autre posture exigeante tout en étant parfaitement détendu…
La détente dans ce cas vient du fait que seuls les muscles nécessaires à la posture sont réquisitionnés. Lorsque la posture est construite de l’intérieur, que certains muscles se tonifient pour porter le corps, allonger les espaces, alors il n’y a besoin ni de compensations, ni de contractions inutiles du corps qui cherche à se protéger. Pour mieux comprendre, prenons l’exemple de la pince (vous trouverez plus de détails dans l’article dédié à la pince – paschimottanasana) :
- Si je laisse la gravité agir et que mon corps se penche vers l’avant sous son propre poids, il y a de forte chance que mon buste bascule vers l’avant sous le poids de mon crâne, que le buste se plie en deux au niveau du nombril et que je mette en difficulté le bas de mon dos (qui peut me faire mal après cet exercice et conduire au lumbago ou à la hernie discale sur le long terme). Ma cage thoracique s’affaisse, gênant ainsi ma respiration et pressant mes organes contre le périnée.

- Si au contraire je tonifie mes jambes (les quadriceps, muscles des cuisses), je vais aider mon bassin à basculer vers l’avant, le mouvement de flexion viendra donc de la hanche, ce qui permettra de garder un dos long. Si je tonifie légèrement les muscles de mon dos, l’avant de mon buste restera lui aussi long, la respiration sera facilitée. Il est possible de devenir tout « ramollo » dans la posture, mais cette « mollesse » ne garantit pas la détente et la circulation subtile de l’énergie – sans compter que pour y parvenir sans compensation, il faut un long travail préparatoire d’étirement de l’arrière des jambes.

Trouver un bon équilibre entre détente et tonicité permet ainsi de construire des postures qui se tiennent, qui ouvrent des espaces à l’intérieur de votre corps et le souffle trouve lui aussi plus facilement sa route. Cet exemple à propos de la pince est bien sûr applicable à toutes les autres postures.
- Être détendu dans la posture c’est aussi avoir un souffle et un mental calmes. On peut être dans une posture exigeante, avoir les muscles contractés sans pour autant être tendu… Même lorsque la posture est difficile la respiration reste (si ça accélère, c’est que vous allez trop loin), ce qui favorise en même temps le calme mental : votre esprit ne se balade pas dans tous les sens a créer plein d’histoires, il est centré sur votre respiration, vos sensations, le moment présent.

La détente ne revient donc pas à être complètement « mou » dans la posture. Cela signifie plutôt se sentir centré, calme et présent. Et cette détente n’est réellement possible que si la posture est confortable, que si elle se tient sans difficulté, sans résistance, et donc qu’une tonicité musculaire la construit de l’intérieur, la porte. Confondre détente et mollesse, se laisser aller à la gravité peut vous blesser mais aussi vous faire manquer certains bienfaits de la posture…
La tonicité musculaire pour protéger ses articulations
La tonicité musculaire, c’est lorsque vous prenez votre chat sous le ventre et qu’il tend les pattes, prêt à se réceptionner sur le sol au cas où vous le lâcheriez… C’est aussi ce que fait le nouveau né quand on teste ses réflexes de station debout, ce qui fait que vos muscles vous portent, que vous vous érigez vers le ciel, que vous pouvez lutter contre la gravité.
Souvent en yoga, pensant se détendre, on fait l’erreur de ne pas être assez tonique dans les postures : on essaie de relâcher tous les muscles alors qu’il faudrait plutôt les tonifier pour protéger les structures plus profondes (comme les articulations, les ligaments ou les tendons) et rendre l’étirement plus efficace. Cela vaut doublement si vous êtes « laxes »[1]. Prenons l’exemple du triangle, Trikonasana :

Dans cette posture du triangle, la plupart du temps, la jambe avant est molle et l‘absence de tonicité entraîne le genou vers l’arrière (cf. squelette ci-dessus à gauche). Cette façon de procéder abime les ligaments qui, à la longue se distendent (puisque ce n’est plus le muscle qui tient l’articulation). L’articulation devient alors instable ; le phénomène s’amplifie quand en plus on s’appuie sur le genou en y posant la main et en y laissant tomber le poids du buste. Souvent, à ce stade la posture est une vraie corvée à tenir…
Tout change si vous contractez le muscle de la cuisse : il gaine et protège le genou, évite l’étirement du ligament, aligne le tibia et le fémur, donne une meilleure congruence et donc une meilleure stabilité à l’articulation (cf. photo de droite ci-dessus). Si en plus vous activez le psoas pour fléchir la hanche avant et faire basculer le bassin (ce qui visuellement fait descendre le buste), ça tient presque tout seul !
La tonicité musculaire pour un meilleur étirement
Mais ce n’est pas tout ! En plus de vous protéger, tonifier les muscles permet d’avoir un meilleur étirement…
1- La tonicité pour un étirement encore plus efficace : quand le cerveau ordonne à un muscle de se contracter, il ordonne en même temps au muscle antagoniste (c’est-à-dire au muscle qui produit l’action opposée) de se détendre ; c’est ce que l’on appelle un étirement par « inhibition réciproque ». Par exemple, lorsque vous cherchez à étirer les muscles de l’arrière de vos jambes, comme dans supta-padanghustasana, ça sera plus efficace si en même temps vous contractez le dessus de la cuisse. Cela amènera votre genou à se déplier et votre jambe à se tendre (pas besoin d’aller aussi loin que sur la photo… on peut ressentir un étirement bien avant d’avoir la jambe perpendiculaire au sol).

La tonicité musculaire (pas la rigidité ni la force) permet ainsi la précision, la protection des structures profondes, l’alignement, l’étirement et la circulation d’une énergie subtile…
Expérimenter la tonicité musculaire
Pas besoin de postures incroyables pour se rendre compte à quel point la tonicité musculaire est importante pour la tenue de notre dos, notre posture au quotidien et aussi pour notre moral… Se tenir tout avachi peut vous enlever une bonne partie de votre enthousiasme, gêner votre respiration, mal oxygéner vos muscles et votre cerveau, ce qui peut aussi se ressentir sur l’humeur…
Pour sentir la tonicité musculaire, il suffit de se mettre debout, de se détendre complètement sans trop faire attention à la position de ses pieds. Observez où se pose le poids de votre corps (avant du pied ou talon), comment est votre colonne et comment est votre respiration. Si vous êtes habitué à une mauvais posture, vous aurez l’impression d’être tout à fait bien.
Vous pourrez ensuite écarter les pieds largeur du bassin, déverrouiller les genoux pour qu’ils soient bien au-dessus des chevilles et enfoncer la racine du gros orteil dans le sol. Sentez le poids de votre corps qui bascule sur les talons, la voute plantaire qui se reforme. Votre bassin a légèrement bougé même si vous ne vous en êtes pas rendu compte, les cuisses se sont tonifiées et voilà vos jambes qui vous élèvent, vous poussent vers le ciel, plutôt que ce soit le poids de votre corps qui s’affaisse sur vos pieds…
Au début, pour bien sentir, vous forcerez, ça sera un peu rigide, mais ce n’est pas grave ; c’est un passage, vous trouverez bientôt la voie du juste milieu, la tonicité comme simple présence à soi.
Bonne pratique !

[1] Etre laxe : c’est quand vous pouvez effectuer des mouvements d’une très grande amplitude parce que les ligaments ne retiennent pas ou pas assez l’articulation. Vous avez l’impression d’être souple mais sur le long terme l’articulation s’abîme si les muscles ne se gainent pas autour pour la protéger.
Une réflexion sur “Détendu vs « ramollo » dans les postures…”