Comment nos os conditionnent nos postures ?
Vous ne pourrez peut-être jamais faire le grand écart ou le lotus…
… Même en vous entraînant tous les jours pendant 160 ans, parce que nous n’avons pas le même corps, les mêmes freins, la même forme d’os ni les mêmes tissus. C’est un mythe de croire que nous pouvons tous faire toutes les postures. Même en travaillant avec assiduité et en s’étirant avec rigueur nous avons chacun nos limites et mieux les comprendre permet de travailler avec plus de respect et plus de douceur…
Prenon un cas concret : voici ci-dessous deux personnes, toutes les deux pratiquantes de yoga, toutes les deux en train de faire un écart latéral avec les pieds parallèles. Il est évident que l’écart de l’une est supérieur à l’écart de l’autre, pourtant, elles sont toutes les deux à leur maximum.
Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui empêche la jeune femme de gauche d’aller aussi loin que la personne de droite ? Quels sont les freins à sa posture et pourra-t-elle progresser ?
Si vous avez lu l’article précédent sur les limitations dues au point de compression, vous avez déjà certainement une petite idée de la réponse… Ici il s’agit d’aller encore plus loin et de voir concrètement comment notre structure conditionne nos postures.


La forme des os dans les postures de yoga
L’anatomie humaine est très variable... On l’oublie parce que dans les livres d’anatomie on ne propose que des modèles créés à partir de moyennes : on prend une palette d’individus, on fait des observations et des mesures, on établit une moyenne, ça sera celle qui sera dans les livres d’anatomie. Mais la réalité est bien plus riche que cela ! Nous avons tous nos caractéristiques morphologiques, une forme de bassin différente, une torsion de fémur bien à nous etc. Et ces particularités vont conditionner notre capacité à être à l’aise dans certaines postures de yoga et très mal dans d’autres.
Le fait de pouvoir s’asseoir en tailleur ou d’écarter les jambes comme dans prasarita padotanasana (abduction de fémur dans les deux cas), va être lié entre autres à l’articulation de la hanche, c’est-à-dire à la manière dont le fémur (os de la cuisse) va s’articuler au bassin. Et selon la forme des os, la profondeur du cotyle, l’angle du col du fémur… l’articulation et l’amplitude de mouvements ne seront pas les mêmes…
Prenons par exemple cette photo de deux fémurs proposée par Paul Grilley, qui travaille justement sur les différences anatomiques et leurs conséquences dans la pratique du yoga.

Observez bien l’angle entre le corps du fémur et le col du fémur : il est évident que l’inclinaison est différente chez les deux sujets (cf. la petite photo en bas à droite).
La personne au fémur gauche se retrouve avec un angle de 110° tandis que la personne de droite a un angle de 130°. Extérieurement cela ne se voit pas, mais quand il va falloir écarter les jambes l’une de l’autre pour prendre une posture telle que l’assise en tailleur ou prasarita padotanasana, la personne de droite aura beaucoup plus de facilité que celle de gauche. L’orientation du col du fémur à 130° permet une plus grande amplitude de mouvement car le « point de compression » arrivera plus tard que pour le fémur dont le col est orienté à 110°.
Pour ressentir sur vous le point de compression et le distinguer d’une simple raideur musculaire, pensez à lire l’article précédent sur le sujet…
Forme d’os et amplitude de mouvement…
Si l’on revient à nos deux pratiquantes du début de l’article, on sait maintenant que la personne de droite a une inclinaison de col de fémur plus grande que celle de gauche. Cet angle important donne plus de mobilité à son articulation et lui permet ainsi une plus grande abduction.




- Qu’est-ce qui se passe ? Elles n’ont pas le même fémur, l’orientation du col est plus grande chez celle de droite que chez celle de gauche et le point de compression arrive donc plus tard chez la jeune femme de droite.
- La jeune femme de gauche pourra-t-elle progresser ? Non, parce que sa posture est limitée par un frein osseux, elle rencontre rapidement son point de compression et ce n’est pas une bonne idée dans ce cas de forcer…
Forcer, c’est-à-dire aller plus loin que les limites naturelles imposées par notre corps, c’est endommager notre structure, notamment le labrum (cartilage qui entoure la hanche et qui est représenté en vert dans la vidéo ci-dessous ; voir l’article précédent sur les limitations pour des détails).
Encore un exemple pour le plaisir – Paul Grilley
Ces photos sont généreusement mises à disposition par Paul Grilley sur son site, elles mettent en évidence les différences qui existent entre chaque individu. Voici deux bassins vus de profil, l’avant du corps se trouve sur votre gauche. N’hésitez pas à prendre le temps de bien les observer et tentez de nommer les différences (la différence de couleur ne compte pas :-))

Après avoir observé ces bassins, je vous propose de tenter de les « lire »…
Bassin n°1
- Différence dans la forme du sacrum et du coccyx par rapport à l’aile iliaque.
- Différence d’inclinaison dans l’os du pubis.
- Différence énorme au niveau de l’acetabulum…
L’acétabulum est projeté vers l’avant et vers le bas, d’environ 15°, ce qui correspond assez à la norme de la population.
Bassin n°2
Ici l’acetabulum est projeté sur le côté et se trouve presque à l’horizontale. On arrive à voir le fond de la cavité, ce qui n’est pas le cas sur l’autre bassin.
Comment ces différences vont influencer nos postures de yoga ?
- La personne au bassin n°1 risque d’avoir du mal à s’asseoir au sol sans support ; le tailleur peut être difficile sans adaptation et le lotus sera impossible. Inutile de forcer, elle risque de s’abîmer. L’os de sa cuisse va en effet rapidement rencontrer une butée osseuse : quand elle va faire une abduction de hanche (= ouvrir sa cuisse sur le côté), il est très possible que le grand trochanter vienne au contact de la couverture de la hanche, la partie du dessus du cotyle. Les tissus vont se faire comprimer, compresser notamment en haut du cotyle.
- La personne au bassin n°2 aura beaucoup plus d’amplitude au niveau de la hanche et pourra envisager sans problème une assise en lotus ou le grand écart facial…

Le fait de savoir que les os peuvent considérablement influencer vos amplitudes de mobilité ne signifie pas du tout qu’il ne faut pas chercher à progresser et que vous n’y arriverez jamais… Cela signifie simplement que :
- vous serez bons dans certaines postures parce que vous aurez la configuration de squelette pour (on a parlé ici du bassin, mais on pourrait analyser des épaules, des tibias, des vertèbres…), et moins bons dans d’autres postures.
- vous devrez apprendre à reconnaître si la limitation que vous rencontrez vient de la forme de votre os « point de compression » ou de vos muscles pas assez étirés…
- que là où il s’agit d’os on ne force pas, mais que s’il s’agit de muscle, vous pouvez travailler sur l’étirement musculaire pour assouplir un peu et progresser dans la posture
- pour savoir si vous allez dans le bon sens, n’hésitez pas à demander à votre professeur de vous ajuster, vous pouvez aussi lire cet article « comment savoir si je pratique correctement » ?
Pensez bien que vous n’avez pas besoin de ressembler à la photo du magazine ou au professeur, que vous n’avez pas besoin d’être beau. Rappelez-vous quelles sont vos intentions lorsque vous faites du yoga. Et pour reprendre Paul Grilley « on n’utilise pas le corps pour prendre une posture, on utilise la posture pour rentrer dans le corps ».
Bonne pratique !

Sources :
- https://yinyoga.com/ ; site de Paul Grilley
- Bernie Clark et Paul Grilley ; Your body, your yoga, éd. Wild Strawberry
- Youtube, anatomie 3d de la hanche de Lyon 1.
- Dominique Martin ; Comment entretenir et protéger son patrimoine physique ; éd. Sol
- Blandine Calais-Germain ; Anatomie pour le mouvement
Pour les images : pixabay, pexels et Canva Pro.